Carnet de bord # 2: L’Avare ou l’école du mensonge

Par Jean Lambert-wild

Satoshi Miyagi dirige le SPAC depuis 2007. Il y a chez lui une énergie très singulière, tout à la fois gracile et aiguë. Ces yeux débordent de curiosité, sa voix dissimule toujours un rire et ses mains menues ont de petits mouvements précis qui scandent sa parole.  S’il est bien difficile, aujourd’hui où la mémoire n’est plus que lien virtuel d’un immédiat vers l’oubli, de dire qu’un artiste de théâtre est populaire, ce qualificatif peut par contre s’employer à juste titre pour Satoshi Miyagi. C’est un artiste reconnu internationalement, récompensé de nombreux prix. Il est venu régulièrement en France à l’invitation de nombreux théâtres et festivals, et chaque fois l’enthousiasme du public à découvrir sa Médée, son Mahabharata – Nalacharitam ou encore son Lièvre blanc d’Inaba et des Navajos, fut une démonstration que le théâtre populaire est toujours une exigence de transmission.

La carrière de Satoshi Miyagi est maintenant plutôt bien connue. De nombreux travaux et critiques commentent son œuvre. Cependant, il est un point plus discret de sa biographie qui est peu évoqué et, à ma connaissance, jamais mis au prisme de l’originalité de son travail artistique. C’est que, à ces débuts en 1986, il se fit connaître par une forme associée à du « nouveau clown ». Voilà qui n’est pas banal. C’est à mon sens une clef très importante pour comprendre l’évolution de son travail artistique. Il faut l’exigence farceuse d’un clown pour transmettre, comme il le fait, de grands récits tout en explorant le répertoire classique avec autant d’enchantements que de petites diableries. Je l’avoue, je regarde toujours les spectacles de Satoshi Miyagi avec un plaisir de môme. La semaine dernière, j’ai pu assister à une représentation de son Peer Gynt qui était repris dans la saison du SPAC. L’intensité du jeu, le rythme des scènes, la distance constante que tous les interprètes conservaient avec leur personnage, les couleurs des costumes ainsi qu’un décor astucieux permettant aux personnages de surgir comme des clowns de leur boîte, me firent penser à une immense entrée clownesque digne des frères Fratellini. Certes la comparaison est osée, et l’on pourrait m’objecter que mon œil de clown voit du clown partout, mais la similitude est troublante si l’on étudie avec attention cette qualité de jeux qui intègre une bousculade précise des corps avec un équilibre parfait entre parole, musique et émotions. 

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Image spectacle pour l'onglet Photos 

写真提供:ク・ナウカ

Photo provided by Ku Na'uka Theatre Company

 

J’ai donc interrogé Satoshi Miyagi sur ce particularisme clownesque. Voilà ce qu’il en ressort :

« Pourriez-vous nous en dire plus sur le caractère et l’origine de votre clown ? 

 – Le Katari est un art qui permet à un interprète de jouer plusieurs rôles. Cet art traditionnel a toujours existé en Asie. C’est une différence importante avec le théâtre classique occidental où chaque interprète joue un seul personnage. Dans le Katari, l’interprète garde toujours une distance avec ce que ressent le personnage. Il doit passer rapidement du sentiment d’un personnage à un autre. Cette distance l’oblige à garder un état objectif pour rester en recul. Cet état de recul, toujours maîtrisé ,se retrouve chez le Dōké qui est l’équivalent du clown au Japon. C’est grâce à cette technique de distanciation que l’on peut rire de sa condition que celle-ci soit triste, idiote où tragique. L’interprète du Katari, c’est une autre particularité, représente aussi un troisième personnage qui décrit la situation de manière objective. Il doit donc porter ce regard d’observateur en plus des personnages qu’il joue. On peut sans doute comparer cela avec les troubadours qui interprétaient de la poésie épique. L’interprète du Katari essaye donc de montrer aux spectateurs le monde tel qu’il est, sans jamais mettre en avant ses émotions intérieures. Il accepte de rester invisible, transparent. Une caractéristique que l’on retrouve aussi chez le Dōké. C’est à partir de cette tradition que j’ai voulu apporter quelque chose dans le théâtre contemporain. J’ai d’abord tenté de réaliser cet essai en solo. C’est ce que j’ai ensuite développé à partir des années 1990 pour faire des mises en scène de spectacles collectifs.

 – Y-a-t-il au Japon un clown traditionnel proche du clown blanc ou de l’Auguste ?

 – Dans le Kyogen, le personnage de Tarôkaja peut ressembler à celui d’Arlequin. Dans le Rakugo, qui est le Katari comique, le narrateur est censé embrouiller l’ordre social, mais si j’avance dans ma réflexion, Tarôkaja n’est pas une présence qui puisse détruire les valeurs partagées par les spectateurs. Il apporte une confusion auprès de son maître en faisant des bêtises sans défier l’ordre social. Dans le Katari, il y a plus de possibilité de détruire l’ordre social mais,  en décrivant le monde de manière objective, l’interprète apporte, même assure, une certaine sécurité auprès des spectateurs. De même dans le Kabuki, ce n’est pas le Dōké mais plutôt le malfaiteur qui a le pouvoir de renverser l’ordre établi. On peut donc en déduire que dans le théâtre traditionnel japonais ou même contemporain, on n’a jamais eu vraiment de destructeur de valeur qui serait l’équivalent du clown en Europe. 

 – Vous êtes passionné par le Rakugo. En quoi cette forme traditionnelle a-t-elle nourri vos recherches artistiques ?

 – Il y a plus de 500 pièces inscrites au répertoire du Rakugo dont, pour la plupart, on ne connaît pas l’auteur. C’est un art populaire proche des citoyens. Il y a une véritable virtuosité des interprètes qui s’accumule de génération en génération à quoi s’ajoute aussi les réactions des spectateurs. Lorsqu’on parle de l’art moderne un spectacle appartient à son créateur, alors que dans le Rakugo cela est impossible. C’est ce que j’aimerais accomplir comme artiste. Une œuvre qui soit le fruit d’un travail collectif partagé avec les interprètes, les techniciens, le public, qui refuserait de monopoliser les découvertes au profit d’un seul créateur. »

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