Au cas ou l’Ankou et les feuilles volantes
En Bretagne, peu de genres littéraires ont été aussi étroitement liés à la vie du petit peuple que la chanson.
De tradition orale, les répertoires de chansons bretonnes sont aussi diffusés grâce à des imprimés bon marché, parfois gratuits : les feuilles volantes.
Conçu pour être chanté, ce répertoire donne la parole aux illettrés, aux gens instruits, au petit peuple et aux élites. Ses thèmes sont foisonnants ; ils traitent des faits divers aux grands événements, en passant de la louange à la satire et de la vie quotidienne aux prosélytismes divers.
Si l’on peut faire remonter la fonction de chanteur relativement loin dans le temps, le marchand de chansons nouvelles sur feuilles volantes en langue bretonne ne semble guère avoir exercé son commerce avant le XVIIe siècle. On situe l’âge d’or de cette production entre le XIXe et le XXe siècle. Les répertoires oraux et les répertoires imprimés vont cohabiter pendant un certain temps, mais les chansons nouvelles, sorties de l’imprimerie, vont progressivement prendre le pas sur le registre plus ancien. Au cours des deux siècles qui vont suivre, les progrès mécaniques et techniques de l’imprimerie vont donner un autre coup de fouet à l’édition de chansons sur feuilles volantes. Certaines dynasties d’imprimeurs, comme les familles Lédan à Morlaix ou encore Le Goffic à Lannion, vont littéralement inonder la Bretagne de ces feuillets populaires.
Pour Au cas ou l’Ankou, le commissaire d’exposition, Gaël Lefeuvre, invitera une sélection d’artistes contemporains à revisiter la tradition de l’imprimé populaire et de la feuille volante.
Une sélection principalement autour de la calligraphie et du symbolisme pour éditer des chansons calligraphiées et illustrées, des feuilles volantes contemporaines, véritables objets d’art qui seront offerts au public pendant le concert.
Les artistes produiront des tampons qui seront réalisés dans le pays de Morlaix par Gaël Lefeuvre. Les tampons serviront à imprimer les feuilles volantes en amont et en direct les soirs des représentations pour conserver les gestes ancestraux du colporteur qui autrefois diffusait ses chansons populaires.
Parmi les artistes sélectionnés, on retrouvera :
Bom K, peintre très influent de l’art urbain depuis deux décennies, il est à lui seul une école de style qui a influencé des milliers de peintres de la nouvelle génération à travers le monde.
Né en banlieue parisienne, Bom K tombe dans le graffiti à 17 ans. Sous l’influence des pionniers de l’époque, il s’initie à la grammaire du mouvement sur les murs, les terrains vagues et les trains de son quartier. Explorateur averti de friches, il crée un graffiti du gigantisme avec des petits moyens, ose la taille avec ses rouleaux aux bouts de perches de plusieurs mètres de haut, parfois dans des situations très risquées pour créer des fresques clair-obscur impressionnantes, des mausolées industriels.
En 1999, il fonde le collectif « Da Mental Vaporz » (DMV). Dans ce cadre, il commence à produire une peinture plus personnelle et intimiste. L’univers d’une précision extrême qu’il développe sur fresques immenses est à l’image de son monde : brut, sale, violent, périurbain. Des personnage décharnés ou monstrueux à la mine patibulaire, des barres de béton cauchemardesques. Depuis, Bom K étoffe son bestiaire infernal et multiplie les expériences artistiques hors friches industrielles.
Il réalise ses premières expositions (Paris, Londres, Los Angeles, Berlin, Oslo…), publie des livres d’illustrations remarqués, crée statuettes et affiches qu’il sème tout autour de lui. Son univers devient de plus en plus lumineux au fil des années pour laisser apparaître une magie d’une force incomparable, touchant toute une génération.
Bom K réside en Bretagne à Huelgoat depuis 10 ans. Pour cette création, il proposera une nouvelle forme d’écriture qui navigue entre le passé par ses formes hiéroglyphiques, tribales, runiques et le futur avec une maîtrise de l’écriture liée aux graffitis et au néo-symbolisme.
Clément Laurentin, artiste plasticien et typographe qui développe un travail qui prend racines à la croisée des 5 continents ; une volonté viscérale d’embrasser toutes les cultures pour créer la sienne, métisse, au regard bienveillant sur le monde qui l’entoure.
Vision universaliste, pluralité des supports, des techniques, des sujets et des sources, l’expressivité brute des arts premiers, les recherches formelles des suprématistes, la simultanéité des cubistes, transparaissent en filigrane dans ses œuvres. Fondamentalement humaniste, il interroge la place de l’individu et de sa spiritualité au sein d’une société matérialiste. Il en dresse une iconographie poétique, résolument tournée vers l’autre. Dans ce projet il proposera une écriture symboliste faite d’équilibres, pour une lecture sous différents angles.
Germain, Alias IPIN, artiste conceptuel qui est considéré comme l’un des plus actifs du mouvement d’art urbain contemporain français.
Prenant comme point de départ le travail in situ, le rapport à l’échelle, au paysage et à la photographie, il oriente sa pratique vers un art inscrit dans son contexte, afin de délivrer une vision engagée, ironique et sensible de son environnement. Il s’affranchit du motif figuratif tout en interrogeant l’Humain et sa place dans la société à travers des projets où se mêlent dystopies graphiques, nouvelles technologies et activisme. Il a créé avec le temps un nouveau langage avec l’espace et aussi une typographie propre à son environnement urbain, fait de lignes blanches et symboles signalétiques qui seront au centre de sa création pour les feuilles volantes.
Sean Hart, artiste plasticien et typographe, maître des phrases impromptues en grosses lettres très lisibles, parfois dans les lieux les plus improbables de la planète. Adepte de la rencontre et des cultures étrangères à la sienne, il développe des idées de textes dans différentes langues selon ses voyages. Il cherche avec ce mode d’intervention à mettre en place la surprise, le dérangement, les perturbations, la poésie en milieu urbain ou rural. Il aime construire des histoires à partir de ce que l’on considère comme insignifiant, animer l’inanimé, donner à l’espace quelconque et banal une dimension poétique. Travaillant pour la première fois sur des textes en breton, Sean Hart ne saura (pourra) s’empêcher de les faire vivre seulement sur papier. Il proposera quelques interventions sur les murs de Bretagne en lien avec la chanson de Au cas ou l’Ankou, créant une nouvelle forme de feuilles volantes parlant le langage de notre société actuelle, les panneaux publicitaires ou l’affichage populaire.
Les artistes invités au complet représentent la déstructuration de l’écriture, de la forme la plus lisible à la plus symbolique. Une façon d’illustrer la perte des mémoires de la transmission orale et populaire des chansons bretonnes. Entre symboles ancestraux et urbanité, ces feuilles volantes s’annoncent comme des messages subliminaux populaires, menant un public plus large à la compréhension des textes.
Gaël Lefeuvre