Au cas où l’Ankou et les feuilles volantes - Texte de Gaël Lefeuvre

 

 

En Bretagne, peu de genres littéraires ont été aussi étroitement liés à la vie du petit peuple que la chanson. 

De tradition orale, les répertoires de chansons bretonnes sont aussi diffusés grâce à des imprimés bon marché, parfois gratuits : les feuilles volantes.

Conçu pour être chanté, ce répertoire donne la parole aux illettrés, aux gens instruits, au petit peuple et aux élites. Ses thèmes sont foisonnants ; ils traitent des faits divers aux grands événements, en passant de la louange à la satire et de la vie quotidienne aux prosélytismes divers. Si l’on peut faire remonter la fonction de chanteur relativement loin dans le temps, le marchand de chansons nouvelles sur feuilles volantes en langue bretonne ne semble guère avoir exercé son commerce avant le XVIIe siècle. On situe l’âge d’or de cette production entre le XIXe et le XXe siècle. Les répertoires oraux et les répertoires imprimés vont cohabiter pendant un certain temps, mais les chansons nouvelles, sorties de l’imprimerie, vont progressivement prendre le pas sur le registre plus ancien. 

Au cours des deux siècles qui vont suivre, les progrès mécaniques et techniques de l’imprimerie vont donner un autre coup de fouet à l’édition de chansons sur feuilles volantes. Certaines dynasties d’imprimeurs, comme les familles Lédan à Morlaix ou encore Le Goffic à Lannion, vont littéralement inonder la Bretagne de ces feuillets populaires.

Pour Au cas où l’Ankou, j’ai revisité la tradition de l’imprimé populaire et de la feuille volante. Les chansons du spectacle sont toutes calligraphiées et illustrées à la fois, de façon contemporaine, mais aussi primitives et symboliques. Des feuilles volantes véritables objets d’art qui sont offerts au public pendant le concert. Les feuilles volantes de Au cas où l’Ankou au complet représentent la déstructuration de l’écriture, de la forme la plus lisible à la plus symbolique. Une façon d’illustrer la perte des mémoires de la transmission orale et populaire des chansons bretonnes. Entre symboles ancestraux et urbanité, ces feuilles volantes s’annoncent comme des messages subliminaux populaires,  menant le public à une meilleure compréhension des textes.