Carnet de bord # 2 Ah, les rats!

Par Jean Lambert-wild

L’urgence d’une création est difficilement explicable. Elle est souvent la conjugaison de plusieurs nécessités qui chacune séparément ne saurait avoir la puissance de couple suffisante pour qu’une telle torsion puisse s’exprimer complètement. 

Ah, les rats ! en est une très jolie démonstration. C’est bien sûr, au préalable, une rencontre entre artistes, le besoin de croiser nos gestes poétiques pour en étendre la portée. C’est après, une sensibilité commune au monde. C’est alors, une réalité qui s’impose à nous. C’est aussi, une étrangeté qui nous dépasse et dont nous essayons de modeler la forme. C’est encore, de l’insaisissable qui fabrique d’étranges fantômes nous faisant signe de l’au-delà. C’est également, une fièvre qui habite les corps et les mots. C’est enfin, la volonté de ne jamais interrompre la conversation secrète et silencieuse qui ordonne à l’interprète de ne jamais oublier que chaque spectateur lui parlera ; et qu’il devra faire la somme de tout ce qui est dit silencieusement pour, en retour, phraser une émotion qui soit entendue. 

C’est pourquoi réduire une création à une note d’intention est une ineptie didactique qui voudrait aborder la vitalité sensible et multiple de la poésie dans un brouillamini réduisant tout à une police d’assurance. Il ne peut y avoir d’assurance à créer et c’est ce qui doit nous rassurer.

Ah les rats ! n’échappe donc pas à cela. En relisant hier toutes les notes des conversations que nous eûmes Angélique Friant, Catherine Lefeuvre et moi-même, je n’ai pu que sourire de tout ce qui fut entrevu, perdu, transformé, retrouvé. Chaque instant travaillant avec malice à métamorphoser le suivant pour qu’enfin surgisse l’évidence de ce qui nous entraina à découvrir un paysage caché en nous et que nous ne voyions pas. 

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Image spectacle pour l'onglet Photos 

Après une courte résidence à Tournai, centre de la Marionnette de la Fédération Wallonie-Bruxelles, puis une autre résidence, réduite par les contingences sanitaires, à Hennebont au Théâtre à la Coque- Centre national des arts de la Marionnette, nous voici à Saint-Dié des Vosges à La Nef, Fabrique des Cultures Actuelles où, juché sur un tas de chaussures, Gramblanc tente de réparer une ampoule qui après une panne générale d’humanité s’est éteinte d’un coup. Et voilà qu’alors ce clown blanc qui tente, tant bien que mal, de rafistoler ce qui peut l’être encore, rencontre toute une famille de rats qui vont éveiller sa conscience à être autre chose qu’un animal égoïste, calculateur et destructeur. 

Cette famille, que Chiara Collet manipule avec une dextérité incroyable, nous fait vite douter de notre compréhension du vivant. Gramblanc, qui est toujours un peu perdu dans un monde qu’il croit comprendre sans jamais le comprendre, se trouve, lui, bien heureux d’avoir enfin quelques camarades avec qui jouer, chanter, danser et partager « ce savoir millénaire qu’est l’art de l’entonnoir ».

Voilà où nous en sommes. Il ne reste que quelques jours d’urgence avant que toutes les nécessités, qui nous ont conduits jusqu’à ce moment, fassent sens. 

Assis en haut de mon échelle, pensant aux jeunes enfants qui viendront nous voir, je songe que la grande écoresponsabilité d’un artiste est de défendre, avec tous les moyens dont il dispose, la diversité du langage qui seul nous fait entendre le silence des bêtes et qui seul nous fait comprendre que, comme l’écrit si justement Catherine Lefeuvre, « Nous ne sommes décidément rien, rien, rien, rien, face à vous mes petits rats ! ».

 

Spectacle

Calenture N°150 de l'Hypogée- Duo poétique pour clown blanc et rats marionnettiques