Carnet de bord # 2 En attendant Godot

 

Par Jean Lambert-wild & Lorenzo Malaguerra

 

 

Nous sommes trois à diriger cette création, mais ne nous trompons pas, c’est l’écriture de Beckett qui en fait la mise en scène. Conduire l’exécution d’une œuvre à plusieurs, enrichit notre mouvement et nos regards. La question n’est plus seulement d’atteindre un but, mais aussi de savoir comment nous allons l’atteindre.

Nos déplacements ne sont pas le fruit d’une pensée unique. Ils sont l’assemblement de nos expériences, de la mécanique de nos doutes, de la conscience que nous avons du public, des espérances que nous formulons pour le théâtre. La partition du jeu se police de l’écoute mutuelle que nous avons les uns les autres. C’est une méthode qui n’enferre pas l’imaginaire dans une loupe.

Jean Lambert-wild au centre, "Nos journées sont denses" © Tristan Jeanne-Valès

Nos conversations sont serrées, toujours un brin canailles
A trois, nous faisons prisme, notre image du réel en est renforcée. Les lumières de Beckett se décomposent dans des teintes et un spectre plus large. Cet exercice de l’écoute et du regard s‘élabore au quotidien, il ne s’agit pas de faire collectif mais plutôt de faire alliage de nos interprétations. Nos conversations sont serrées, toujours un brin canailles. Nous activons notre curiosité par des lectures, des anecdotes, des férocités d’exigence, des affections muettes, des pics d’émotions et des creux de détails, d’infinis détails qui font la farce pleine de pudeur des rires tragiques de En attendant Godot.  

Michel Bohiri © Tristan Jeanne-Valès

Nous avançons trois de cordée

Toutes nos attentions réciproques cousent de l’amitié, plus encore elles protègent l’innocence de nos gestes. Si l’un de nous s’égare, si même deux le font bras dessus, bras dessous, il en restera toujours un pour le leur dire avec courtoisie… et comme il faut s’égarer pour trouver, nous avançons trois de cordée, nous encourageant à faire, à défaire, à refaire jusqu’à ce qu’une voie se dessine sous nos yeux.

Les silences du théâtre créent le besoin d’autrui. L’attente d’un autre nourrit la mémoire de notre existence. L‘étrangeté des liens qui unissent des interprètes aux spectateurs se constituent dans l’attachement que les interprètes auront de leur partenaires qui seront leurs seuls alliés pour affronter l’adversité de leurs rôles.

  • POZZO (…) Mais vous êtes des amis ?
  • ESTRAGON (riant bruyamment) – Il demande si nous sommes des amis !
  • VLADIMIR  Non, il veut dire des amis à lui.
  • ESTRAGON Et alors ?
  • VLADIMIR La preuve c’est que nous l’avons aidé.
  • ESTRAGON Voilà ! Est ce que nous l’aurions aidé si nous n’étions pas ses amis ?

L'exigence musicale du texte de Beckett
Nos journées sont denses. La préparation de chaque moment de jeu comme celui de mouvement d’ensemble plus large ne peut se faire sans une attention répétitive et régulière. Le texte de Beckett est d’une exigence musicale qui impose une interprétation scrupuleuse. Nous consacrons du temps à être méticuleux chacun de notre partition.

Marcel Bozonnet © Tristan Jeanne-Valès

Nous respectons à la lettre les indications de Beckett. Nous avons choisi un espace qui ne détermine pas une époque particulière. C’est une terre brulée, calcinée, encerclée de toiles peintes qui  nous cachent l’horreur alentours d’un paysage de charniers.
Nous pensons qu'il faut absolument respecter les indications de Samuel Beckett et que ce parti pris ne fait que dévoiler le concret de la pièce. Nous voyons bien que tout n'est pas totalement absurde dans ce texte, tout ce qui se joue ici est très concret. 

Nous avons été très attentifs aux indications scénographiques de Beckett comme la route, l'arbre, la toile de fond, les déplacements, jusqu'aux chapeaux melons liés au jeu de clowns. Par ses indications Beckett nous offre la liberté d'interprétation de son texte. Ce sont bien les contraintes de Beckett qui font la modernité de son texte.

Attentifs aux indications scénographiques de Beckett © Tristan Jeanne-Valès

Revenir à cette contrainte, et donc à l'origine de l'écriture, nous permet de nous libérer de toutes les lectures qui ont pu être faites auparavant. Nous espérons un spectacle où le concret des situations fasse entendre un Beckett à la fois drôle et tragique, où se déclineront une multitude de codes de jeu différents.   

Retrouvez les biographies de Jean Lambert-wild, Marcel Bozonnet et Lorenzo Malaguerra

EN ATTENDANT GODOT - Carnet de bord # 2

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