Carnet de bord # 3 UBU Cabaret

Par Jean Lambert-wild

L’œuvre d’Alfred Jarry est cachée par l’ombre de UBU Roi. De plus, sa sémantique rajoute un voile d’obscurité qui ne stimule pas la hardiesse du regard des lecteurs. Enfin, notre époque prisonnière des pulsations égotiques de l’image est peu encline à la dissection d’une œuvre. Et puis, l’herméneutise n’est plus à la mode dans des espaces dialectiques de plus en plus réduits à l’efficacité des slogans publicitaires.

La reconstruction du sens que nous propose l’œuvre d’Alfred Jarry ne trouvera donc que peu de volontaires pour s’y fixer les yeux et « la chaude cervelle ». Voilà qui, si on se laisse envahir par l’angoisse des digestes facilités, n’est pas très engageant et pourrait refroidir l’ardeur de beaucoup de spectateurs. Difficile aussi de trouver quelques soutiens pour anatomiser consciencieusement cette affaire, tant aujourd’hui le petit monde du théâtre à bien digérer les logiques néo-libérales et où, à l’entendre, on cherche des « partenaires » pour monter « des projets » aux fils conducteurs limpides. Là où la scène et les artistes ont surtout besoin d’amitiés pour affronter l’inconnu des œuvres. Méfions-nous ! Cela à force pourrait détruire toute la singularité du spectacle vivant qui ressemblerait à une bourse de cotation où le même fusionnerait avec le même dans l’illusion rentière de devenir de bons investisseurs sécurisant la transmission de leur patrimoine et l’apport de leurs actifs. Il n’est pas sûr que notre « petite économie » y résiste. Il n’est pas sûr non plus que nous ne détruisions pas toutes nos logiques d’assemblages de mémoires qui ont besoin de transmissions libres pour rester alertes, vivantes et modernes. Il n’est pas sûr non plus que le public, cherchant à échapper à la commercialisation de tous les espaces, veuille encore se réfugier un instant dans un théâtre qui serait devenu un supermarché avec têtes de gondole et produits normés garantis sans risque et sans saveur.

Le Linteau des Minutes de sable mémorial est pour moi le manifeste d’une « scène nouvelle » qui ne serait plus obsédée par la bienséance de rendre audible l’évidence. Comme le dit si bien Alfred Jarry : « La simplicité n’a pas besoin d’être simple, mais du complexe resserré et synthétisé ». C’est ce principe qui a conduit la dramaturgie de UBU Cabaret. Il faut des principes pour faire entendre une œuvre. Les principes sont nécessaires à la vie comme peut l’être par exemple la colonne vertébrale qui soutient notre corps et lui évite de s’effondrer. C’est ce qui différencie les principes de la morale qui ne nous demande que de nous tenir droit ou penché selon les inclinaisons de ce qu’elle désire diriger. Conduire et diriger ce n’est pas la même chose, ce n’est pas non plus la même élégance au monde…Ainsi donc, comme artiste, je protège mes principes et me protège des morales qui voudraient transformer mes principes en règles et lois annihilant toute la variété des conduites de ma vue. J’ai, en cette vision singulière, la chance d’être accompagné par quelques amitiés, certaines nouvelles, d’autres anciennes, qui me tiennent la main lorsque je me crève les yeux pour essayer d’inventer une nouvelle dioptrique du plateau. Sans ces amitiés rien ne serait possible.

Pour UBU Cabaret, le point d’aveuglement était donc le père UBU. Celui-ci empêchait le langage de se déployer et théâtralisait, en la corsetant, une œuvre qui avait besoin de liberté. Nous avons donc tué le père UBU. Cela s’est fait très vite lors de notre première résidence à la MC2 de Grenoble. Le meurtre accompli, il nous fallait gérer sa dépouille. Je me souviens, alors que je ne savais quoi faire du cadavre qui gisait à mes pieds avec un gros nez rouge, de la Big Bertha qui me dit en rigolant : « Organise donc les funérailles de cette grosse Gidouille ! ».  L’évidence aimant les impératifs salutaires, nos festives funérailles purent s’élaborer. Au glas de cette joie, j’entendis enfin clairement La Berceuse du mort pour s’endormir autrement. Puis, libres de nos humeurs, nous pûmes, grâce au talent de composition de Jeanne Plante et de Jérôme Marin que renforcèrent les orchestrations de Bernard Amaudruz et l’interprétation musicale de la Big Bertha, de Miss Tampon, de Frédéric Giet, de Laurent Nougier et Maël Baudet, composer des chansons et faire danser nos oneilles. Ce fut La Ballade la conscienceLe Petit cheval de l’AlcoholÔ MessalineLe Hibou et la mortL’Hymne à la mère UBULiberté mon sablierUbu moi je t’aime… auxquelles se rajoutèrent de vieux chants populaires et potachiques. 

Les cabarettistes ont ce talent de rendre chantant et dansant des saveurs poétiques que l’on considère trop souvent ennuyeuses dans la bouche des acteurs. Et il est vrai que mes oneilles s’agitèrent diablement à ce sublime chant de Jérôme Marin reprenant un extrait de la scène IV de Haldernablou. Maintenant, j’en fredonne comme un libre gamin le refrain :« Il ocellera le hibou son biniou ou son biniou .Il ocellera le hibou son biniou ou ou ou ou ».

 

Spectacle

Telle l’armée des Palotins, se réunissent au plateau, ou sous chapiteau, des cabarettistes, clowns, circassiens,...