Carnet de bord # 5 UBU Cabaret

Par Jean Lambert-wild

 

La création de UBU Cabaret fut une aventure humaine. Celle-ci ne fut rendue possible que par l’accord sensible de tous les interprétres qui bravèrent les intempéries, les imprévus, le covid, les difficultés multiples, le manque cruel de temps, la fatigue et les necessités d’une économie contrainte. Il fallut aussi conjuguer des méthodes de travail différentes, construire une attention commune, une confiance n’excluant jamais l’interrogation et le doute. Je ne pouvais en l’affaire que proposer un chemin, unir pour un temps des destinées en acceptant de trébucher. Car, comme l’écrit Alfred Jarry dans son poème Madrigale, « Tomber souvent désapprend de descendre. »  

Les linéaments d’amitiés que j’entretiens avec Lorenzo Malguerra furent les prolégoménes de ce pélérinage dans l’œuvre de Jarry. Puis ce furent de longues conversations et le montage de la production avec Catherine Lefeuvre pour pouvoir, comme le dit Alfred Jarry par le truchement de la bouche de Sengle, « prendre conscience du temps par le discontinu des événements, sans lien que successif …».

 

Vint ensuite le bras de Vincent Desprez qui proposa son chapiteau et, au-delà, son esprit toujours aigu et vif comme le vol des rapaces qu’il aime temps. Alors, je rencontrai Gurshad Shaheman dont la pertinente douceur m’invita à rencontrer les cabarettistes. C’est ainsi que je decouvris Jérôme Marin dont le talent et l’engagement permirent cet alliage solide qui sait traduire l’esthétique d’un geste par le respect du mouvement libre de chaque bras.

À cet endroit s’avança Jeanne Plante dont l’acuité se traduit avec une précision maline dans ses chansons ; la Big Bertha dont la grâce est nourrie par une générosité sans égale ; Sylvain Dufour dont la précision est une attention humble de tous les instants ; Bernard Amaudruz qui transforme chaque note de musique en voix lactée.

Arrivèrent enfin Frédric Giet dont l’accordéon est une extension de ses doigts ; Laura Bernocchi qui tresse un fil d’Eros entre la terre et le ciel ; Laurent Nougier qui bat mesure d’un cœur toujours ponctuel ; Aimée Lambert-wild qui parle à ses chevaux avec une discipline amoureuse ; Agathe dont le sourire fait fondre les difficultés ; Sunset dont le sabot ordonne la mort.

S’ensuivit Marc Laperrouze qui sait aiguiser la lumière au fusil de sa clairvoyance ; Maël Baudet dont le charme négligé pourrait convaincre un boiteux de danser toute la nuit ; Nicolas Martin-Prevel et son attention à mettre en valeur celles et ceux qu’ils éclairent ; Daniel Roussel qui a le talent de peindre toutes les dimensions ; Pierre-Yves Loup Forest dont la sensibilité brille de gentillesse, Gaël Lefeuvre dont la finesse offre des perspectives secrètes ; Tristan Jeanne-Valès qui sait fixer l’éternité des grâces éphémères.

C’est cette combinaison infinie de sensibilités qui rend possible une création. Une création est toujours un moment monstrueux car comme le dit Alfred Jarry  « il est d’usage d’appeler Monstre l’accord inaccoutumé d’éléments dissonants ».  Aucune autorité ni aucune intélligence supérieure ne peuvent décider de ce qui en ressortira. 

Être créateur, c’est accepter des univers en dehors de notre galaxie personnelle et, par l’accroissement relié d’espaces perceptibles qui étaient auparavant invisibles, étendre notre interrogation jusqu’à accepter la dissolution d’un cosmos que l’on croyait jusqu’alors immuable. Sur scène, ce qui fait création, c’est une équipe. Cela doit toujours être dit. Cela doit toujours être considéré. Quels que soient les succès. Quelles que soient les difficultés.

Spectacle

Telle l’armée des Palotins, se réunissent au plateau, ou sous chapiteau, des cabarettistes, clowns, circassiens,...