Carnet de Bord # 4 UBU Cabaret

Par Jean Lambert-wild

L’œuvre d’Alfred Jarry est un ouragan de mots, c’est aussi un cyclone graphique qui balayent des « îles » décrites dans Faustroll où vivent Gauguin, Gerhard Munthe, Joseph Sattler…

La biographie de Jarry est une taverne où l’on retrouve le Douanier Rousseau, Pierre Bonnard, Eric Forbes-Roberston, Frédéric-Auguste Cazals, Félix Vallotton, Rodophe Töpffer…

C’est aussi les illustrations des Almanachs du père UBU, les coiffes bretonnes dans César-Antéchrist, des dessins et des gravures de L’Ymagier, les poinçons fondus spécialement pour Perhinderion. Les mots d’Alfred Jarry sont dotés d’un squelette visuel qui imprime autrement leurs puissances de représentation. Il ne serait pas étonnant qu’un jour un mangaka, amoureux des mirlitons, extirpe une explosion solaire et une danse macabre de son œuvre.

Il m’a toujours semblé que le théâtre permettait un art optique des mots. Les systèmes de narrations, de représentations et d’énonciations qui construisent, dans un enchevêtrement sensible, les conventions organisant un spectacle, nous offrent la possibilité de conjuguer l’archaïsme et la modernité, la geste du moyen-âge avec le cinématographe, la voix d’un fantôme avec une onde radio.

C’est pourquoi, je lis autant de bandes-dessinées que je fréquente de musées, que j’annote autant de livres de toutes sortes que je conserve précieusement des liens vidéo hétéroclites pêchés sur le web, que mon panthéon fait une place égale à l’œuvre de Stéphane Blanquet qu’à celle d’Alfred Jarry. Je pense même qu’ils auraient fait de bons camarades et qu’Alfred n’aurait manqué aucune parution de La Tranchée Racine, un hebdomadaire édité par Stéphane présentant les œuvres de près de 500 artistes du monde entier.

Ainsi, et si on veut bien faire tomber le voile de certaines convenances toutes bonnes comme mauvaises, pour ne pas emprisonner le théâtre dans l’image restrictive de notre époque, il faut associer les arts dans un appareillage de questionnements qui testera toutes les combinaisons possibles pour ne retenir que celles qui font sens. 

La théâtralité est une machine combinatoire indépendante des modes et des médias. Elle n’est ni la succursale du cinéma, ni le boudoir de la littérature, ni l’enfant orphelin d’un siècle digitalisé. Elle est une machine de vision parlante, écrivante et mouvante. Le théâtre doit, dans un cycle mécanique qui n’a cure ni du temps, ni de l’espace, rester le refuge d’un dire qui interroge notre humanité. 

UBU Cabaret fait donc théâtre par l’indépendance de son appareillage de questionnements qui, en associant plusieurs arts, distille l’œuvre de Jarry pour y retrouver une vigueur de liberté aujourd’hui de plus en plus étouffée par l’abandon du langage et la saturation de mémoires consommables. La mécanique de l’appareillage de UBU Cabaret fut assemblée lors de notre résidence de création au Manège, la scène nationale de Maubeuge.

Toute l’équipe y contribua, chacun apportant un questionnement dont la somme faisait petit à petit apparaître une forme nouvelle. C’est pourquoi, et je ne cesse de le rappeler depuis des années, mon rôle n’est pas de mettre en scène, mais de protéger une machine de sens qui sur chaque spectacle est unique. Si vous chercher un metteur en scène pour UBU Cabaret vous ne le trouverez pas ! Ou plutôt vous en trouverez autant que des membres de la troupe. 

Pierre-Yves Loup Forest qui, dans un temps record et avec une bonne humeur bravant toutes les difficultés, conçu et cousu tous nos costumes, m’en fit un soir, la démonstration parfaite. Il était venu boire un verre dans ma petite caravane que j’avais garée sur le parking en face du chapiteau, juste derrière la chapelle Béguinage des Cantuaines. C’était l’hiver, nous avions froid. Nous venions de terminer une longue journée de travail et d’interrogations. Nous tentions de nous réchauffer en souriant.

J’aime beaucoup la fréquentation de Pierre-Yves. Nous nous comprenons simplement sans que cette simplicité soit une offense à la complexité. Nous engrainions la liste des figures que revêtiraient nos camarades, La conscience et Victorine ou La mère UBU pour Monsieur K, la cuisinière Bigoudène pour la Big Bertha, L’Évêque marin pour Sylvain Dufour, Le Docteur Faustroll pour Jeanne Plante, le petit Breton pour Maël Baudet, Le cycliste pour Nicolas Martin-Prevel, Le guerrier cochinchinois pour Frédéric Giet, Messaline pour Laura Bernocchi, Le Surmâle pour Vincent Desprez, Bosse de nage pour Laurent Nougier, Absinthine pour Aimée Lambert-wild, La Dragonne pour Agathe Dalifard, Le petit cheval de l’Alcohol  et Le petit cheval de la Phynance pour Sunset, L’Esprit nouveau pour Gramblanc… Je montrais à Pierre-Yves des illustrations, des gravures, des planches de bandes dessinées. Il me montrait des tissus pailletés, des boutons, des toiles bariolées. Nous nous étions entendus sur le fait que l’esthétisme des costumes de UBU Cabaret devait avant tout refléter la diversité et l’identité propre à chacun et à chacune des interprètes et que nous devions échapper à tout prix au conformisme des harmonies préconçues. Un interprète ! Une interprétation ! L’harmonie viendrait de l’accord que nous trouverions entre nous et avec le public. 

Notre conversation nous avait fait oublier la froidure de l’hiver. Il allait prendre congé lorsqu’il me dit avec son rire inimitable « On ne fait pas grand, on laisse grandir ! » Mes yeux s’élargir et firent de mon visage une trogne de hibou sans plume. Savait-il que ce qui venait de s’échapper de lui était mot pour mot une phrase du Sûrmale ? Ou venait il d’être habité par le fantôme d’Alfred ? Peu importe la machine à sens fonctionnait. Je n’avais plus qu’à l’huiler avec une tranquille attention.

 

Spectacle

Telle l’armée des Palotins, se réunissent au plateau, ou sous chapiteau, des cabarettistes, clowns, circassiens,...